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Le silence peut être un art. Bien maîtrisée la pause vocale est une arme redoutable. Au cours des entretiens, dans le secteur médico-social, cet intervalle silencieux est fréquemment utilisé afin de laisser l’usager ou la personne accompagnée faire son propre chemin, dire ce qui lui semble important.
Dans les situations conflictuelles également le silence est un outil qui a fait ses preuves. Mais attention le silence ce n’est pas rester muet et ne rien dire Le silence c’est :
La maitrise du silence s’acquiert avec le temps, mais ce silence aujourd’hui est mis à mal par notre époque de l’immédiateté et de la réponse toute faite. En effet nous sommes dans une ère où la parole et la précipitation dans la réponse sont privilégiées. Je peux prendre en exemple (même s’il ne me semble pas du tout à suivre) les réponses diplomatiques d’aujourd’hui. Le président Bolsonaro lorsqu’il répond par dépit, par orgueil qu’il ne veut pas de l’aide internationale alors que celle-ci apparaît comme inévitable : c’est bien l’image même de cette précipitation à répondre : à clouer le bec, à avoir la bonne réponse. Il est par ailleurs obligé de revenir sur cette parole précipitée quelques heures plus tard. De mon point de vue, s’il avait su garder le silence il ne se serait pas mis dans une situation telle qu’aujourd’hui il apparaît comme faisant volte-face.
Cependant le silence est une arme à double tranchant : une image qui lui va très bien. Le silence peut être nocif, nuisible et détruire des morceaux de vies ou des vies entières.
A l’opposé de ce silence puissant il y a le silence des souffrances, le silence des angoisses. Ce silence est malheureusement souvent lié à sentiment de culpabilité et de honte. Je ne pourrai pas aussi bien le décrire que le fit Boris Cyrulnik dans son livre mourir de dire la honte.
« Je vais donc me taire pour me protéger, je ne mettrai en façade que la part de mon histoire que vous êtes capables de supporter. » p. 7
« Une stratégie de défense contre l’indicible, l’impossible à dire, le pénible à entendre vient d’établir entre nous une étrange passerelle affective, une façade de mots qui permet de mettre à l’ombre un épisode invraisemblable, une catastrophe (…). » (pp. 7 et 8)
« Tant qu’il souffre, un blessé ne parle pas. » (p. 8)
Ces trois phrases, extraites du livre de Boris Cyrunilk « Mourir de dire : La honte », expriment à elles seules l’ensemble des sentiments et des états que nous submergent quand ces choses à dire nous semble indicibles.
Si je transfère cet état dans le quotidien des établissements et services sociaux, médico-sociaux, ou sanitaires, nous avons des dizaines d’exemples. Ces exemples viennent des publics accompagnés et de leur histoire mais également de nos propres comportements.
Pourquoi ne pas dire qu’un collègue commet un acte inadmissible, pourquoi ne pas dire qu’un accompagnateur n’a pas la réponse la plus adaptée, voire même une réponse totalement inadaptée.
Cela interroge toujours quand dans un établissement ou un service, nous découvrons après des semaines ou des mois qu’un de nos collègues ou collaborateurs a commis un acte malveillant.
Cela interroge à deux titres :
Dans les cas une partie de la réponse relève du sentiment associé à ce silence : la honte. Bien évidemment nous ne devrions pas avoir honte car nous ne sommes pas coupables de l’acte commis. Mais bien souvent nous ressentons une responsabilité qui va nuire à la communication.
Dès lors comment interpréter le silence en analyse des pratiques. J’accompagne deux équipes dans un établissement médico-social. L’une des deux reste très silencieuse pendant les séances. J’ai utilisé plusieurs outils mais j’avoue que je me suis sentie vraiment dépassée par cette équipe. D’autant que la deuxième est plutôt dans l’utilisation de l’espace.
J’ai tout d’abord tenté de travailler ce silence avec eux, d’en rire. L’humour étant souvent un outil efficace.
Puis j’ai tenté de leur exprimer la difficulté de se mettre au travail si le silence se maintenait. Les séances sont de deux heures, et quelques fois le silence pouvait durer 45 minutes.
J’ai alors utilisé les jeux. J’ai pris des cartes que j’utilise pour les régulations, les formations, et j’ai joué avec eux. Ils ont accepté de jouer, ils ont pris la parole. C’est déjà une première victoire. Mais je m’interroge sur ce silence.
Dans ces groupes les coordinateurs faisaient partie de l’équipe participant au GAPP. Je me suis donc interrogée sur leur place et sur le fait que cela empêchait peut-être la prise de parole. Les coordinateurs n’ont donc plus participé aux GAPP.
Je ressens comme une omerta. C’est-à-dire que j’ai clairement le sentiment que certains voudraient parler, utiliser cet espace, mais que d’autres ne le veulent pas.
En effet, le discours est répétitif. La parole est saisie, mais répétée à l’idendique. L’ensemble du groupe ne partage pas ce discours, mais de façon très « silencieuse » il y a comme une autorité qui impose ce silence.
Je pense évidemment que ce silence veut dire quelque chose même si je n’ai pas encore trouvé le sens.
Aujourd’hui l’équipe n’est plus silencieuse. Elle utilise cet espace. J’ai accepté et accompagné ce silence pendant de nombreux mois.
Dans le cadre de l’animation des GAPP il peut nous arriver régulièrement d’être confronté à des silences plus ou moins long. Je souhaitais partager mon expérience au travers de cet article. En effet, le silence est un outil pour les équipes pour nous dire quelque chose.
A nous d’être suffisamment bienveillants pour accueillir ce silence.
Temps de paroles pour les équipes :
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